je veux
revenir chargé d’oubli
ouvrir l’album
refaire le
temps
chargé
d'oubli je veux porter sur moi ce fardeau d’évanescences
crouler sous
les ombres de visages qui s’effacent ses mains ses yeux
soutenir le
faix des songes fugitifs
souffrir que
s’étiole le doux son des rires d'enfants les miens
les siens
ni les pleurs
revenir à vide
pour m'emplir de toi
mon pays
mon frère mon amie mon aimée mon amour
mon enfant
de tes rides
et de tes berceaux
de tes
illusions et de ta lumière
me souvenir
enfin par toi
je veux
prétendre au retour au νόστος
je veux me
livrer désarmé à l’inassouvissable mors de la nostalgie
je veux me
réclamer d’elle me rappeler à moi
je veux
revendiquer l'humain ses mains ses yeux
je veux qu'il
ne reste dans les miens que l'oubli quand je viendrai te dire que je t'aime
quand je te
montrerai sur moi l'entaille de ce voyage
celle qui
ouvre en deux
par laquelle
tout s'enfuit
par laquelle
tu entreras
parce que
j'aurai connu la nostalgie de toi
d'Ulysse à
Kundera
pour cela je
porte sur moi le lourd espoir de l'oubli
ses mains
ses yeux
étranger
de mers et de
vents ennemis
de corps de
patience et de misère
de traces des
guerres qui s'effacent au couteau
d'animaux aux
voix de nos frères
de sangs de
corail et de sels de volcans
d'appels de
forêts et de montagnes et de fleuves sacrés
de mouches à
feu en Croix du Sud pleines lunes sous Orion
de temples de
pierre creusés de larmes
de fleurs
sauvages sans nom aux nuits de la jungle
de
bruissements apaisants en eaux claires d'un ruisseau
d'aubes
fuyantes aux oiseaux ensorcelés
de terres
brûlées âcres et des magies des rizières
de papillons
en fuite vers le soleil toi mon soleil blessé
de parfums
entrelacés le souffle
d'une
ville d'un village odeur suffocante de la vie
ses mains ses yeux
aux sourires
dans un jeu de regards qui se reconnaissent sans comprendre
je viens
porter le poids de l'oubli ses mains ses yeux
dans Québec ma
femme d'automne fille de printemps
aux grands
érables à ses premières neiges entremêlés innocences
en labours
je m'en viens
me tenir dans le froid réel de ses pluies et de ses lacs au trésor
debout dans
ses saisons
dans les
effluves de ses clameurs
elle
ma mère
ma sœur mon aimée mon amie
pays à qui je
ressemble
et qui ne me
ressemble plus
ensommeillé
je porte
l'oubli des rêves
je porte
l'oubli d'un monde en souffrance
dans
l'inexistence des dieux
dans
l'inutilité de l'art
dans
l'ignorance épanouie
à retrouver
la fragile
beauté de l'humain
dans
l'invisible
d'un espoir
infime
qui se
souvient de moi
je me souviens
me surviens
me rappellerai
à moi vers moi
et me
retrouverai
fils de la
Saint-Jean
en rappelant à
moi
qui j'étais
qui je suis devenu
et je te
dirai je me souviens
et tu en
sauras la force de ceux qui se sont oubliés
je te
montrerai alors l'entaille et ce qu'il en reste
la cicatrice
qui te retient désormais
en moi
dans ton pays
chargé de souvenir
à qui je
ressemble tant
mais qui ne me
ressemble plus
je veux
revenir chargé d’oubli
je voudrai
refaire le temps
près de toi
ouvrir l'album
comme s'il
tenait ce souvenir
entaillé
ne m'oublie
pas. ne m'oublie plus.