L'école est une prison

21 févr. 2012

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Surveillance. Serrures. Horaire réglé à la minute près. Silence. Contrôle scrupuleux des présences. Autorité. Règlements stricts. Travaux forcés. Longs couloirs. Murs de béton. Cour fermée. Promiscuité. Clans. Bagarres occasionnelles. Vérification des entrées et sorties. Uniformes. Punitions. Matricules.
Une peine de onze ans, sans sursis.

Des milliers, des millions d'élèves vous le confirmeront : L'école est une prison.


Tuol Sleng.

Tuol Sleng, la prison la plus tristement célèbre du Cambodge, se trouve à Phnom Penh, en plein cœur de la ville.

Et elle a une particularité dérangeante : avant d'être une prison, Tuol Sleng était une école.

En 1975, sous le régime des Khmers Rouges, toutes les écoles ont été fermées, l'enseignement rendu illégal. On a emprisonné l'ensemble des universitaires, des enseignants, des intellectuels. On pouvait ainsi mieux contrôler les esprits...

À Tuol Sleng, on a rajouté des barbelés à la clôture de la cour d'école. On a percé des couloirs intérieurs entre les classes. On a ajouté des murs de briques dans ces classes pour faire des cellules. On y a rivé des chaines. On a troqué les pupitres pour des instruments de torture.

Et puis on y a accueilli, au fil des quatre ans qu'a duré le régime, près de vingt mille prisonniers; on les y a entassés et enchainés; on les y a torturés.
Et, à l'instar des autres prisons un peu partout ailleurs au pays, on les a tous expédiés à quinze kilomètres de là, aux Killing Fields, pour se faire détruire. À coups de pelle, pour économiser les balles.

Plus d'un million de Cambodgiens, hommes, femmes, enfants, bébés, ont été ainsi exterminés.


Salle de classe modifiée.


Nous avons choisi, avec componction, de visiter ces sites commémoratifs avec les enfants. Pour qu'ils sachent ce que peuvent devenir les êtres humains quand on leur fait oublier qu'ils sont des êtres humains. Pour que ceux qui nous suivent n'oublient pas.


Dans les témoignages des rares survivants de ces prisons atroces où l'on vous empêchait jusqu'au moindre mouvement, on apprend qu'ils se réfugiaient dans le seul endroit où personne ne pouvait les écrouer: dans leurs esprits. Les plus chanceux y avaient avec eux des souvenirs d'amours, d'amitiés et de conversations, mais aussi et surtout de romans, de spectacles, de voyages. Des idées libres.

Les pires tortures n'étaient pas celles du corps, évidemment. J'espère que mes enfants auront un peu compris, lors de leur visite, que les pires, ce sont celles qui atteignent jusqu'à l'esprit.



En sortant de la prison, j'ai pris en aparté mes deux plus petits, qui entreront au secondaire bientôt, en septembre puis en septembre prochain.
Catherine, Thomas, vous entendrez souvent dire que l'école est une prison.
Vous savez maintenant la différence.


L'exemple était, je l'admets, un peu dramatique; technique pédagogique douteuse quoiqu'efficace. Mais le fond y est.

Car malgré les apparences, malgré les parallèles, l'école est tout le contraire d'une prison.


Parce que l'école prétend à faire apprendre et à faire comprendre la vaste étendue du monde. Et surtout, à faire aspirer ainsi à la vraie liberté, celle de l'esprit, celui qui questionne, celui qui cherche à répondre. Et ce faisant, à dissiper la noirceur.

Parce que savoir, parce que pouvoir faire preuve de discernement et d'esprit critique, c'est encore le vaccin le plus efficace contre l'intolérance, contre la bigoterie, contre l'injustice, contre la peur, contre la haine. Et plus qu'un vaccin passif, c'est aussi une incitation à l'action empreinte de sens.

Et parce qu'un esprit libre, celui qui sait comment penser par lui-même (mais pas nécessairement pour lui-même), qui, pour ce faire, peut saisir la complexité changeante de ce qui l'entoure, c'est le gage le plus sûr d'une société meilleure, plus équitable, plus humaine. Plus libre de devenir ce qu'elle doit devenir.

Et c'est aussi pour cela que je répète à qui veut l'entendre qu'enseigner, c'est le plus beau métier du monde.
(C'est peut-être contagieux; parlez-en à Catherine, qui, même si elle a amplement le temps d'y penser, voudrait un jour être prof.)

Chercher à supprimer l'éducation ou transformer une école en prison, ne fût-ce que le temps d'un calembour, c'est tenter de bafouer ce qu'il y a de plus nécessaire dans nos sociétés humaines.




Ces photos de Tuol Sleng reflètent la tristesse de savoir ceux qui sont passés ici, mais un peu aussi l'indignation devant le détournement du lieu.

On ne veut plus jamais avoir à revoir d'autres endroits semblables, où l'humanité est foulée aux pieds dans des atrocités impensables.
Mais pour s'en assurer, il faut d'abord faire disparaître tous les barbelés qui empêchent l'accès aux écoles.




Je me permets de revenir au Québec un instant, où le gouvernement veut hausser les frais de scolarité. Au-delà de tous les arguments pour ou contre, j'en vois un seul digne d'être retenu : des jeunes qui autrement auraient poursuivi leurs études ne le feront pas. Point final.

Et je ne peux m'empêcher de penser qu'à cause de cette hausse, quelque part au Québec, il se trouve une Catherine qui ne deviendra pas prof.

Elle sera perdante... Si au moins elle comprenait que c'est un investissement pour elle... Alors, elle trouverait les moyens... Quand on veut, on peut, non?

À coups de raisonnements de cet acabit, notre société s'éteint un peu, on laisse l'obscurité gagner tranquillement le fond des classes, on arrose les barbelés qui poussent ensuite comme des ronces.

À moins de croire qu'une société ne s'enrichit pas en faisant tout pour que le plus grand nombre devienne le plus libre de penser possible.
Ou à moins de croire que cette liberté ait un prix. Avec une étiquette de 1625$.


Parce que ce ne sera pas cette Catherine-là, qui perdra le plus, non. Mais bien les élèves qu'elle ne touchera jamais.


De la cellule au fond de la classe, voir la cour d'école derrière les barbelés.

Au Centre culturel français de Phnom Penh où nous nous sommes posés quelques jours pour faire l'école, des dizaines d'étudiants en sciences de la faculté voisine se réfugient dans la salle de travail (climatisée...) pour préparer leurs examens.

Je me sens toujours bien au milieu de ceux qui apprennent, mais ici, à distance de marche de Tuol Sleng, c'est particulièrement réconfortant.

Le Cambodge se relève lentement de l'époque pas si lointaine, en 1979, où il ne restait plus personne pour étudier, encore moins pour enseigner. Lentement, parce qu'ici, ceux qui n'ont pas les moyens de payer, dans un système trop corrompu, n'étudient pas...

Mais ici comme ailleurs, tous les espoirs sont encore permis.


Bon anniversaire Hans!

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[...]mentalement non plus.
 
Hier, j’ai eu quatorze ans. Physiquement, je ne sens aucun changement, mentalement non plus. Finalement, je crois que je n’ai pas changé du tout… Comme toujours, quand je mange, je suis content.

Commençons par le commencement. Phnom Penh est une ville vraiment passionnante. Premièrement, il y a un institut français, qui compte une très belle bibliothèque (bédés, mangas divers). Deuxièmement, on a un super hôtel confortable genre Lac Leamy (il fonctionne avec des cartes magnétiques) juste devant l’institut français. Troisièmement, il y a de la bonne bouffe: des bons restos, des bons restos pas chers, et, le plus important, du beurre de pinottes et du bon pain. Pour ma fête, nos trois repas ressemblaient à peu près à ça :

Matin
Pain baguette avec beurre de cacahouètes et confiture.

Midi
Sandwich au saumon fumé, doritos et fromage bleu.

Apéritifs
Olives et champagne.

Soir
Souper au restaurant nommé « Comme à la maison », où nous avons vraiment, tous, bien mangé (steak tartare, pavé de bœuf, soupe de poisson, raviolis gratinés aux épinards, carpaccio de poisson, soupe à l’ognon, assiette de fromages, desserts variés, vin et laits frappés aux fruits).

Maman et papa ont dit que c’était un peu la fête à tout le monde (dans la famille), car tout le monde n’a pas l’occasion d’avoir une fête aussi cool que la mienne. Mais c’est quand même moi qui a eu les cadeaux!

Plus tard, en me chicanant avec mon grand (vieux) frère, ce dernier m’avoua que la seule raison pourquoi il ne regrettait pas que je sois né, c’était d’avoir pu profiter d’une fête aussi formidable que la mienne (ne vous inquiétez pas, Nicolas est très gentil, c’était moi qui l’avait poussé à bout…).

Bref, ça ne m’en prend pas plus pour être heureux!

Hans mangea.
Il était content. 



Bamboo Island

20 févr. 2012

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Notre seconde nuit chez Paou fut pas mal moins bucolique que la précédente.
Les enfants avaient encore envie de dormir dehors mais nous avons pris, pour nous deux, une petite hutte qui s'était libérée. C'était surtout pratique pour mettre les sacs durant la journée et pour pouvoir se changer tranquille (les lits sur la plage étant démontés dès le matin).

Mais une hutte, ce n'est pas SI confortable que ça. Au fait, les murs de paille sont tellement minces que l'impression que les poules (qui vivent juste derrière la cloison) sont dans la chambre est vraiment intense. De plus, il a plu. Ce qui pour les enfants était un peu moins charmant puisque même s'il y avait un toit sur les lits, le vent a aidé à mouiller une bonne partie des matelas et les moustiques ont fait rage malgré les moustiquaires (puisqu'il a fallu au milieu de la nuit tenter de repositionner les matelas mouillés, les moustiquaires n'ont pas toutes été bien replacées). Et, je ne sais pas si vous le savez, mais les moustiques au Cambodge c'est vraiment une réalité dure à oublier tant ils sont voraces et que leurs piqures démangent en laissant des marques profondes. Olivier a eu le pied tellement piqué que cela nous rappelait les meilleurs épisodes de varicelle familiale.
Et pour couronner le tout, se réveiller le matin sans eau courante et avec le plancher de la hutte couvert d'énormes crottes de rats, juste à la tête du lit, ne nous a pas vraiment donné le goût de prolonger notre séjour ici.

Nous avons donc fait nos sacs de bon matin et avons décidé de prendre le large dès notre retour de notre journée en bateau que nous avions planifié la veille. Nous savions que nous allions quitter le bord de mer rapidement pour nous diriger vers le centre du Cambodge et avions l'intention d'en profiter au maximum, une dernière fois.

Nous nous sommes donc embarqués en direction de Bamboo Island. Au programme, un petit peu d'apnée, un barbecue sur la plage et un bon moment sur l'ile, le temps d'explorer ses deux plages.

Finalement, l'apnée s'est révélée un peu décevante (les masques et les tubas prenant tous l'eau), le barbecue franchement délicieux (j'ai même été demander la recette de la marinade) et la deuxième plage de Bamboo Island, une pure merveille (la première étant remplie de touristes mais cependant pleine de beaux coquillages). Au fait, la petite plage isolée (il fallait s'y rendre à pied, à travers un sentier qui traversait l'ile) est sans doute la plus belle plage que nous avons vue depuis le début de notre voyage. Le sable faisait scouiche-scouiche sous nos pas, l'eau était émeraude et hyper propre, la plage avait un petit côté sauvage avec seulement quelques petites huttes disséminées sur le long. Si vous êtes un jour dans le coin, ça vaut sans doute la peine de venir vous installer dans ces huttes quelques jours... Calme assuré!



Somme toute, ce fut une bien belle journée même si la houle du bateau a eu raison de l'estomac de Catherine qui a nourri gentiment les poissons à plusieurs reprises.

De retour rapidement chez Paou pour prendre nos sacs, nous avons ensuite pris un tuk-tuk (ici ce sont des motos qui tirent une genre de carriole de style calèche), et nous avons rejoint un autre coin de Sihanoukville, question de trouver un hôtel avec douche chaude et sans moustiques pour donner une pause grattage aux enfants.

La chance nous a encore souri et nous avons trouvé facilement un gite confortable pour notre dernière journée sur le bord de la mer. Nous en avons profité pour aller le lendemain sur une plage un peu plus touristique où Nicolas a fait sensation auprès de quatre jeunes filles qui n'arrêtaient pas de lui jouer dans les cheveux et de le tripoter allègrement.



Voilà, nous étions amplement rassasiés de notre envie de plage pour un bon bout. Nous en avions amplement assez des huttes de paille et du sable entre les orteils. Nous avions des fourmis dans les jambes, l'envie très forte de voir un autre décor et de bouger. J'adore la mer mais je n'aime pas tellement les villes de bord de mer dont toutes les infrastructures sont tournées vers la plage. C'est reposant, certes, mais pour nous qui aimons les villes qui grouillent, il nous fallait partir.

Nous avons donc rayé Kep (autre ville sur le bord de la mer) de notre itinéraire et avons plutôt choisi de faire route directement vers Phnom Penh, la capitale.

Comme quoi il y a toujours une solution

19 févr. 2012

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Nous avons quitté Trat de bon matin, après notre séjour de gros farniente sur l'ile de Koh Kut, pour nous diriger vers la frontière cambodgienne. La dame de la guest house de Trat nous avait vendu des billets «pas de troubles» avec un confortable petit autobus (qui venait nous prendre tout juste devant notre chambre), jusqu'à la frontière et ensuite, directement de la frontière, un autre autobus pour nous amener vers Sihanoukville. Nous avions un peu hésité entre cette solution et celle de tenter de nous organiser par nous-mêmes et, finalement, nous avons bien fait de tout acheter à l'avance puisque cela revenait moins cher que d'acheter les segments de transport individuellement, avec tout le souci organisationnel en moins (ce qui, quelque fois, n'a pas de prix!).

Après un petit trajet d'une heure, nous passons donc relativement allègrement la frontière cambodgienne en slalomant entre les diverses arnaques d'usage. C'est fou pareil comme c'est bien organisé, les arnaques. Premièrement, dès que tu descends de l'autobus, une équipe de jeunes hommes embarquent, sans préavis, tous les bagages du groupe dans un chariot et traverse au pas de course les 100 mètres qui séparent la frontière thaïlandaise de la frontière cambodgienne. Ce n'est naturellement pas un service qui se veut gratuit et la plupart des touristes se verront délester de quelques dollars (à raison d'un dollar par bagage), dès cette première étape.

Ensuite, nous devons faire une première file où un fonctionnaire en uniforme prend notre température avec un genre de pistolet thermique frontal (vraiment étrange). La deuxième arnaque est alors de demander aux touristes, non avertis que cette pratique est douteuse, de payer pour cette action (encore un dollar par front). Devant la grossièreté de cette demande, la plupart des gens ne payeront pas et le préposé ne s'obstine d'ailleurs pas plus que ça. Cependant, ce même préposé va ensuite donner nos passeports à un monsieur en chemise et pantalon propre qui nous conduit d'autorité vers des chaises en nous disant d'attendre. Ce n'est pas tellement évident de savoir ce que nous devons réellement attendre (surtout que nous avions déjà nos visas), qui est réellement le monsieur et ce qu'il compte faire avec nos passeports. Nous constatons relativement rapidement qu'il va en fait remplir des documents que nous pouvons très bien remplir nous-mêmes et, comme nous nous doutons bien qu'il ne fait pas ça juste pour être gentil (bien que...), nous allons récupérer subtilement nos passeports et remplissons comme des grands les deux lignes du papier officiel. Voilà, encore une fois, une subtile arnaque bien rodée dont la plupart des touristes font et feront les frais. Il est effet toujours plus difficile de refuser de payer pour un service déjà rendu, surtout lorsque l'on croit le service essentiel et relevant de l'administration locale.

Je dois cependant avouer que personne ici n'est trop agressif ou trop racoleur. Les cambodgiens sont souriants et avenants et les tentatives pour tenter de gagner de l'argent à tout prix ne sont pas très étonnantes dans un pays où la corruption est le modèle économique qui prévaut majoritairement.
Ceci dit, c'est tout de même sans payer un sous de plus que nous finissons (après quelques tampons, prise d'empreintes digitales et sourire pour la caméra plus tard), par être officiellement au Cambodge.

Ouf et re-ouf.

Nous arrivons tardivement (après un petit cinq heures d'autobus) à Sihanoukville, station balnéaire qui s'étire sur des kilomètres le long de la côte. Sihanoukville compte plusieurs plages et nous avions déjà décidé de nous rendre à la plage d'Otres, plus éloignée et donc réputée comme étant la plus tranquille et isolée.
Nous n'avions pas de réservations et le soleil commençait à se coucher (vraiment pas le moment idéal pour trouver un gite). Cependant, nous étions confiants et espérions bien trouver tout de même quelque chose.
Mouais, disons qu'après avoir arpenté toute LA rue d'est en ouest et n'ayant toujours rien trouvé de disponible, nous pensions bien devoir nous résigner à refaire un trajet de tuk-tuk pour tenter notre chance sur une autre plage.

Un peu débinés, nous avons alors cogné à la dernière porte possible (c'est une image, aucune porte ici, tout étant ouvert à tout vent). Le propriétaire se révéla être un gentil lyonnais installé au Cambodge et, même s'il n'avait pas de chambres pour cette nuit, nous a proposé une solution gagnante: dormir dehors directement sur la plage. Les yeux des enfants se sont allumés, les parents se sont regardés, le proprio nous a assuré que c'était tout confo avec matelas et moustiquaires, le restaurant nous souriait, un petit vent soufflait, les vagues faisaient un petit bruit super chouette, et nous avons dit oui.

Nous avons posé nos sacs et avons mangé un excellent repas (le propriétaire n'étant pas lyonnais pour rien). Le restaurant Chez Paou était à un jet de pierre de la mer et le temps de manger copieusement et de digérer un peu notre repas, nous étions installés pour la nuit dans nos abris de fortune.

C'est à peu près là qu'on a dormi...

Grillades de fruits de mer chez Paou...

Honnêtement, c'était en effet relativement confortable. La mer était tellement près que le son des vagues faisait office de berceuse. Un petit vent venait nous rafraichir et, malgré les poules qui caquettent dès 3 heures du matin, nous avons relativement bien dormi.

La douche matinale du lendemain fut prise dans la mer et nous avons passé le reste de la journée à nous prélasser sur des chaises longues en regardant les vagues et en souriant béatement aux divers vendeurs de lunettes de soleil, de beignes, de fruits, de massages, de pédicures, de crevettes, de colliers... qui déambulaient gentiment à la recherche d'éventuels clients.