Une ferme géante

7 oct. 2011

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Le Népal est une vraie ferme géante. On peut y voir surgir une poule, une vache, un coq et même un dragon! Non, sérieusement ça ne m'étonnerait presque pas. On a bien mangé une des meilleures pizzas de notre vie! C'est la dernière chose que je m'attendais à faire au Népal (à part peut-être devenir une princesse et avoir un château en diamant), maintenant on peut bien voir un dragon. Bon, il faut dire que ce n'est pas un très bon raisonnement. On voit bien une vache autant qu'un humain (tiens, quel drôle d'animal que ce dernier) pourquoi pas un dragon?

Enfin tout cela pour dire que le Népal est vraiment spécial, comme un mélange de n'importe quoi. En trek, lorsqu'on marchait, on pouvait aussi bien se retrouver face à face avec un poussin qu'avec un bœuf, un cheval ou encore un troupeau de chèvres! On voyait aussi plusieurs porteurs avec des charges bien plus lourdes que nos sacs d'école! Enfin bien plus lourdes que bien des choses comme Nicolas, Thomas, Olivier et moi! C'est assez impressionnant de les voir transporter des poutres bien plus lourdes que bien des enfants! J'aime bien regarder les gens, la manière dont ils vivent, comme l'autre jour, lorsque nous avons fait un tour d'autobus car nous nous étions trompés de bus. Dans ce même autobus, j'ai rencontré une jeune écolière qui parlait anglais. Elle s'appelait Aaradena (elle me l'a épelé) et elle m'a expliqué que les écoliers étaient en congé d'un mois pour les fêtes où on sacrifie plein d'animaux. Elle était très gentille et elle m'a parlé de plein d'autres choses.



Qu'est-ce que nous ne pouvons pas trouver au Népal? À part peut-être de la neige, je n'ai pas trouvé, et j'y pense encore! On trouve de tout, des troupeaux de chiens errants, des gens qui bénissent leurs véhicules avec des œufs, de la nourriture et des genres de fleurs oranges, des gens qui sacrifient des chèvres qu'ils ont achetés la veille, nous avons même mangé des offrandes! Enfin nous n'avons pas fait exprès (ou peut-être que nos parents les ont achetés pour nous empoisonner) mais bon, moi j'ai adoré ça. C'était comme des churros qui ne goutaient rien, qui étaient très gras et qui avaient une couleur rose fluo très flash.
 

Enfin, tout cela pour dire qu'on peut tout voir au Népal!


p.s .
je vous le dirai lorsque j'aurai vu mon dragon.

Y'avait des cro-co-diles...

4 oct. 2011

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Autant nous étions bien contents pour la prise en charge de l'agence au niveau du trek, du guide, des documents administratifs pour s'enregistrer dans les Annapurnas, du transport vers Pokhara et de l’hôtel réservé là-bas, autant nous aurions dû y réfléchir un peu avant de réserver un forfait tout compris vers le parc de Chitwan. Cette décision-là, nous l'avons un peu regrettée… surtout en potassant notre Lonely Planet après avoir payé! Précieux guide qui nous disait que l'on pouvait relativement facilement se rendre sur place et se concocter un forfait sur mesure et selon nos gouts, à moindre coût.

Le parc de Chitwan est une énorme réserve naturelle à la frontière entre l'Inde et le Népal. Il est possible d'y voir des tas d'animaux, d'oiseaux et de papillons. C'est un des seuls endroits au monde où on peut encore apercevoir le mythique rhinocéros à une corne. Bref, c'est un genre de Kenya, mais au Népal. Nous avons pris un forfait tout inclus deux jours, trois nuits, avec hébergement, repas et toutes les activités possibles du genre balade dans la jungle sur un éléphant, pirogue pour voir les crocodiles et safari photo en jeep. 

Bon, disons le tout de suite, c'était vraiment génial mais avec des tas de bémols. 

Complètement génial de se promener deux heures sur un éléphant, à travers des herbes tellement hautes qu'elles nous dépassaient. On y aurait passé la journée, la semaine, le mois! On se sent tellement puissant sur un éléphant! Nous n'avons pas vu grand-chose (à part des daims et des paons sauvages) mais juste pour se promener sur le dos de ce pachyderme et de s'imaginer être un maharadja en safari (ou un lord anglais, super colon du XIXe siècle, en quête de descente de lit en peau de tigre), c'était super. De plus, nous étions seuls dans la jungle et les enfants ont pu s'assoir, à tour de rôle, à la place du cornac.


Le coucher de soleil, sur la rivière, en observant deux énormes rhinoféroces en train de prendre leur bain et de se laver, c'était vraiment super aussi.

Assister au bain des éléphants (que l'on étrille à la brique) dans la rivière: super chouette. Voir les enfants, sur les éléphants, dans la rivière, se faire arroser par les trompes et rouler dans l'eau, avec les éléphants, c'était encore mieux!




 Être sur une pirogue de bois chambranlante et pouvoir voir des king fishers et des tas d'autres oiseaux inconnus ainsi que des crocodiles (juste le bout du nez, ils sont timides)... super encore une fois.


Caresser un bébé éléphant de trois mois dans le centre de reproduction des éléphants, le voir gambader partout et pouvoir lui serrer la trompe, franchement, ça valait largement le cout du forfait. Catherine ne veut plus un bébé chat maintenant mais un bébé éléphant. Super non?


Mais, alors, ils sont où les soi-disant bémols dans ce forfait méchant-bon-deal-my friend qui a l'air si super?
Ils sont dans l'approche client totalement déficiente et dans le non-sourire du personnel de l'hôtel dont tous les membres avaient l'air d'avoir perdu leurs deux parents, simultanément, dans un effroyable accident d'autobus, la veille. 

L'irritant numéro un fut surtout dans les guides qui venaient avec le forfait. Au fait, ici le «guide» se résumait (vraiment) dans le serveur en pleine crise d'adolescence, qui baragouinait un anglais incompréhensible, qui nous disait constamment de nous dépêcher sans oublier notre appareil photo, qui avait les culottes de jeans aux mollets et qui, surtout, ne connaissait absolument rien à la nature environnante. Ici, mon amie Marie L., et surtout mon beau-papa, ne pas seraient restés plus d'une demi-journée sans avoir mordu le «guide»plusieurs fois! On avait juste le goût de téléporter mon super beau-frère Marc, le temps de notre séjour (remarquez que nous l'aurions aussi gardé après!).

Nous avons aussi eu droit à une magnifique conversation téléphonique, un peu moins super celle-là, avec notre agent de l'hôtel Ganesh Himal de Katmandou. Celui-ci nous ayant vendu la version tout-inclus, nous étions surpris d'apprendre, en arrivant, que la jeep dans la jungle, c'était en extra. Après une longue discussion (avec moi au début mais quand il a appris que mon mari était là, ce fut avec Michel qu'il a voulu discuter), la promenade dans la jungle en jeep est réapparue au programme.

Donc safari photo en jeep mais qui est devenu, en fin de compte, un safari «je pousse la jeep dans la bouette», le conducteur adolescent ayant pris bien soin de s'embourber solide, après trente minutes de route. Après l'avoir vu tenter de se déprendre en mettant une serviette de bain sous les roues, de faire spinner les pneus dans le vide comme un malade et de tourner son volant n’importe comment, nous avons bien tenté de lui donner un cours de conduite dans la bouette calqué sur le cours de «comment se déprendre d'un banc de neige sans avoir l'air trop niaiseux», mais ce fut totalement peine perdue! C'était réellement loufoque et nous avons, tout de même, bien rigolé. Nous fumes quitte pour une marche forcée dans la jungle (section de la jungle où personne ne marche parce qu'il y a des crocodiles) où nous avons tout de même vu des singes, des tas d'oiseaux, des jeeps de touristes indiens et des petits daims. 

Nous n'étions cependant pas nécessairement d'humeur taquine en revenant à l'hôtel, l'estomac dans les talons avec plus de trois heures de retard sur le sacro saint horaire. Mais comme nous sommes passés maitres dans l'art de ne plus nous fâcher et de garder le sourire peu importe les circonstances, nous avons parlé avec le propriétaire de la place qui nous a offert les repas jusqu'au lendemain. C'est toujours ça de pris.

Nous savions bien que sur ce coup-là, on se la jouait un peu, pas mal, méga-touristes en quête de wilderness organisée. On comprend aussi comment marche cette industrie et nous étions prêts à jouer notre rôle dans tout ça. Mais, j'aime quand même mieux me faire arnaquer sans trop trop m'en rendre compte et, avec le sourire, ce serait plus chic.

Ceci dit, je me suis réconciliée avec tout ça, ce soir. Juste avant le coucher du soleil, je suis allée prendre une marche avec les enfants sur le bord de la rivière. Sous les derniers rayons d'un soleil majestueux, un immense crocodile se chauffait la couenne, juste là, devant nos yeux. Avec la rivière, les herbes hautes et le soleil couchant, j'ai retrouvé l'harmonie et je me suis prise à rêver.

Le chant des moines

3 oct. 2011

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27 septembre, Pokhara

Après une longue marche vers la vieille ville de Pokhara, nous essayons de trouver un transport local pour se rendre dans un des deux camps de réfugiés tibétains qui se trouvent en ville. Celui qui nous intéressait était le plus gros des deux. Celui-ci possède un monastère où les moines exécutent un genre de prière chantée entre trois heures et cinq heures de l'après-midi. Il faut tout de suite vous dire que pour se rendre dans ce camp, c'est bien plus compliqué que cela en a l'air. 
Tout d'abord, on doit trouver le terminus d'autobus pour prendre l'autobus en question.
Par la suite, on doit essayer de communiquer avec un des "contrôleurs" pour trouver quel véhicule on doit prendre.
Pour finir, on embarque sans trop savoir si on va dans la bonne direction au milieu de tous ces gens qui nous dévisagent en étouffant un rire. C'est quand même rare de retrouver une famille de six étrangers dans leurs autobus.

Alors collés par une chaleur étouffante, nous nous regardons avec de grands sourires qui veulent dire: "on est quand même cool d'avoir réussi!" Bon, ce n'est pas du tout fini, car un regard sur la carte de notre guide (pas Dawa, le Lonely Planet) nous fait remarquer, que nous nous dirigeons dans la direction opposée! L'instant de panique passé, nous rions de notre erreur et commençons à discuter avec le contrôleur de l'autobus, pour trouver un autre transport qui, lui, nous déposerait à la bonne place. Pendant que l'on s'explique, plusieurs locaux nous regardent en riant un peu. Finalement ce n'est pas trop grave, se dit-on, on va avoir fait un tour d'autobus au Népal et c'était vraiment amusant. Alors, on se retrouve tout bonnement dans une rue, qui parait-il, possède un autre arrêt d'autobus qui nous mènerait au camp si désiré (bon, là j'exagère, il faut dire que j'étais un peu de mauvaise humeur car on allait dans un endroit ultra touristique, d'après moi, donc ce n'était pas si désiré que cela).


Alors, on regarde un peu partout, cherchant du regard un autobus susceptible de nous mener à bon port. Je crois que les chauffeurs de taxis ont très bien pu déchiffrer nos regards voulant dire: "je cherche à me rendre quelque part mais je suis, genre, pas trop sûr comment". Comme de fait, on se faisait héler à tous les coins de rue: "hey Namaste! Where are you going?!" On leur expliquait que l'on voulait aller dans le camp tibétain NORD. Puis là, ils disaient que oui, ils savaient c'était où et ils nous donnaient un prix. On leur explique que l'on est six mais, ils ne semblent pas comprendre que l'on ne rentre pas dans leurs minis taxis. Habituellement c'est là que s'arrête la discussion. Un moment donné, nous nous sommes résignés, et oui, nous avons pris un taxi. Donc, nous avons seulement à attendre un peu pour nous faire aborder. Justement on nous klaxonnait pour nous embarquer. Le temps d'acheter un peu de samosas, de l'eau et de marchander le coût du taxi, on 


était embarqués.


Ce genre de véhicule est conçu pour prendre au maximum cinq personnes, avec le chauffeur, mais je ne sais pas par quel exploit, nous avons réussi à nous entasser à sept! Quatre sur la banquette arrière et deux sur le siège du co-pilote un par-dessus l'autre. Et je vais tout de suite briser vos illusions, nous étions tous très confortable, sans blague. Alors, le conducteur démarre son taxi et nous emmène cinq minutes plus loin devant un genre d'arche dans un trou perdu (pas du tout où l'on voulait aller). Mon père le regarde avec le regard qui veut dire: "niaise moi pas, là". Le chauffeur s'excuse en disant qu'il ne le savait pas et qu'il croyait que c'était là que l'on devait se rendre. On lui demande de nous mener au bon endroit et on le lui montre sur la carte. Finalement, on sort de la ville pour s'arrêter un peu plus loin devant le vrai camp. On sort du taxi, mon père paie la somme convenue du départ, et là, le chauffeur en demande plus. Il commence à nous faire une scène en disant qu'il ne savait pas c'était là, il croyait que c'était moins loin, etc. Il pleure quasiment, il dit qu'il veut partir sans que l'on paye. Mon père lui explique que c'était le montant convenu et tant mieux s'il ne savait pas c'était où, maintenant il le sait pour la prochaine fois, il devrait au contraire le remercier car il est devenu un meilleur chauffeur, vous voyez le genre. Alors le chauffeur empoche le montant convenu et part en disant qu'il est fâché. Nous, nous étions très contents de ne pas s'être fait trop arnaquer.

Enfin, nous n'y croyons plus vraiment, nous étions arrivés dans le fameux camp (même moi j'étais content). On se promène un peu. C'est propre, il n'y a pas beaucoup de monde et il n'y a aucun touriste. Ma mère, qui m'a entendu chiâler pendant la moitié du trajet, me disait quelque chose du genre: " ouais, je sais, désolée que cela soit si touristique". Un peu blessé dans mon orgueil, nous rentrons dans un temple après avoir pris soin d'ôter nos souliers et demander la permission à un moine.

On rentre et c'est tout simplement ultra intimidant! Un mur complet de petites statuettes de Bouddha identiques nous faisaient face et tous en indien, des moines chantant, soufflant dans des trompes et tapant sur des tambours. Dans le fond, les apprentis faisaient leurs "devoirs" et se parlaient entre eux. Ne sachant pas trop quoi faire, nous nous sommes assis un peu dans le fond, sur des bancs, pour assister un peu à cette incroyable cérémonie. Ce "un peu", fut vite transformé en heure et demie. Le temps, dans cette ambiance de chants et de musique, passait extrêmement rapidement. De temps en temps, je me perdais dans mes pensées puis je fixais un moine en particulier pour examiner ce qu'il faisait exactement. Je regardais aussi les murs peints et je m'imaginais au milieu de ces moines en train de chanter moi aussi. Les occupations ne manquaient pas et j'étais fasciné par ces chants. Et tout d'un coup ça a arrêté. Tous les moines sortirent et après dix minutes, il ne restait plus âme qui vive dans la salle. 


C'est probablement l'heure qui a passé le plus rapidement de ma vie.

Trek en vrac

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On avait vraiment beaucoup à dire, désolé... (Et, oui, le titre est en hommage à Gotlib.)

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Lors de notre arrivée à Pokhara, nous étions trop occupés pour nous rappeler que, selon les guides, notre hôtel était surtout prisé pour ses vues sur les sommets. La veille de notre départ, il ne s'en trouvait aucune, mais nous ne cherchions pas, trop occupés. Le lendemain matin, nous étions émus, et nous l'avons partagé avec vous. Ironiquement, cela aura été parmi les plus beaux panoramas qu'ils nous aura été donné de contempler. Nous avons quand même eu la chance, à Chhomrong, d'apercevoir les sommets durant quelques heures. On n'a toutefois pas eu celle de Philippe et Noémie! (re-grrr...)

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Catherine a réellement été une chèvre dans une autre vie. Il fallait les voir répondre à ses bêlements.
Mais je parle surtout de sa capacité à grimper et descendre sans heurts.

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Les papillons étaient parmi nous dès que le soleil se pointait. Pas si souvent, mais assidument. On a essayé de tous les prendre en photo, Marc, mais il en manque beaucoup, et des plus beaux, des plus évanescents.

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Première réelle expérience de toilettes turques (squat toilets, ou encore non-european toilets) pour la famille. Pas si mal... (On n'aura pas eu besoin de l'adaptateur, Mike!)

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Bien plus de trekkeurs que l'on ne l'aurait cru faisaient appel à des guides et des porteurs. Peut-être par souci de prodiguer de l'emploi, comme il est suggéré ici et là? En fait, comme groupe de six, nous étions plutôt l'exception à ne pas avoir de porteur(s). C'est vrai que nous voyagions léger, et nous n'avons pas souffert du poids sur nos dos, sauf Thomas quelques heures et Nicolas au lendemain de sa convalescence. En fait, on voyageait plutôt léger. Mais ce sont les Catalans qui nous ont donné l'idée que, pour une prochaine fois (ou comme conseil à d'autres), ce serait plus chouette d'apporter quelques vivres agréables : beurre d'arachides, Nutella, thé (du vrai), et autres grignotines pour la route (biscuits, barres tendres). Et de prendre un porteur, quitte à ce que ce ne soit que pour cela. (Et peut-être sauver des sous? La nourriture là-haut est hors de prix, surprime due au transport à dos d'homme oblige...)

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Nous prévoyions prendre douze jours pour faire le trek (on se donnait même une marge de manœuvre d'une ou deux journées supplémentaires pour prendre notre temps), nous l'avons conclu en moins de dix jours (moins de neuf, même, si on ne compte pas la journée à attendre que Nicolas se rétablisse). Peut-être la pluie nous a-t-elle empêchés de flâner comme on l'aurait fait par beau temps? (On s'extasie moins longtemps devant une tribu de singes quand on est trempé...) On se trouvait hot d'avoir fini si vite, et moi encore plus quand un Népalais s'est étonné de notre cadence en me confiant, admiratif : Strong man!

Mais ne nous leurrons pas. Malgré tout, ce trek n'était pas, à mon avis, une épreuve difficile sur le plan strictement physique. À vrai dire, vu de Montréal, il semblait bien plus tough. Des sexagénaires bedonnants suivaient le même parcours. (Bon, ok, un sexagénaire bedonnant. Bon, ok, une petite bédaine de bière.) Non, sérieusement, nous sommes des trekkeurs du dimanche, partis sans préparation formelle, et je ne peux pas dire que nous ayons vraiment souffert. On demeure toutefois fiers d'avoir été jusqu'au bout sans que personne ne se décourage; les enfants ont beaucoup de mérite à avoir persévéré ainsi, marchant de très longues heures.

Sur un plan plus holistique, nous osons nous permettre de belles tapes dans nos dos.

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C'est vrai que le duct tape peut aussi aider à prévenir les ampoules.

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Nous serons sortis de l'expérience sans égratignure, et je dois vous avouer que Laurence et moi en avons été soulagés. Je répétais aux enfants qu'il n'y avait pas d'ambulance dans le coin et que le moindre bobo se solderait par une amputation ou la perte certaine d'un œil. Sérieusement, ce genre d'aventure, c'est stressant pour des parents. On avait vraiment des sueurs froides à imaginer ce qui pourrait arriver. Disons que c'est la première fois que nous étions aussi loin de secours médicaux tout en faisant des trucs relativement propices à un paquet de malaises/blessures/chutes. Chaque fois que les enfants semblaient avoir mal quelque part, sans trop que ça paraisse, on étudiait la situation avec circonspection, en posant subtilement des questions qui nous renseigneraient sur leur état sans les alarmer par nos angoisses. Compte tenu du parcours, c'est étonnant que personne ne se soit tordu ni foulé quelque membre que ce soit.

Quand il s'est scalpé le doigt, Olivier s'est mis à saigner abondamment, un peu comme James Bond (génétique, tsé) : en silence, et en se dirigeant dans le calme vers le point d'eau le plus proche, sans alerter personne, sans autre effusion que celle de son plasma sanguin et autres globules. Quand je me suis approché, infirmier de service, après qu'on m'ait avisé («Olivier saigne, beaucoup»), James ne m'a dit qu'une chose : «Je ne suis pas fier de moi». En effet, je l'avais averti exactement deux-cent-trente-sept fois de faire attention avec son Opinel quand il sculptait son bâton de marche en bambou, allant même jusqu'à essayer de lui montrer la «bonne» façon de jouer avec une lame, lui montrant au passage ma cicatrice laissée par mon premier canif, mal utilisé. (Psychopédagogie de l'adolescence, Université de Montréal, 1994, session d'hiver: Il est inutile de tenter de mettre à profit ses propres expériences pour toucher un ado et lui expliquer quoi ne pas faire; il cherchera inconsciemment à reproduire les erreurs de ses ainés. Bon, ok, c'est pas vrai, c'est pas ça qu'ils montrent à l'école de profs. Mais ils devraient.)

Je crois que j'ai répondu, en tentant d'essuyer le sang qui me giclait dans l’œil avec le coin de mon épaule (mes deux mains étant occupées à stopper l’hémorragie) : «Ben non, c'est juste une p'tite coupure, y'a rien là», avec le flegme d'un M, pour tenter de rassurer mon petit poulet (de six pieds deux) qui tremblait comme une feuille.

Je vous avoue sincèrement que, sur le coup, pas un seul instant je n'ai eu à l'esprit qu'on était à deux jours de marche de la clinique, septique, la plus proche.

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On a beaucoup parlé de la pluie, et elle restera associée au trek, mais elle n'était pas supposée être là. Plusieurs d'entre vous savez le temps qu'on aura mis pour affuter notre itinéraire pour éviter stratégiquement les moussons. Mais la népalaise de cette année aura été, nous dit-on, exceptionnelle. Certainement, nous avons ragé contre mère Nature, à maintes reprises. Mais je crois que chaque fois, ou presque, je me ravisais.

Oui, c'est vrai, elle nous a empêché de marcher agréablement. Oui c'est vrai, elle nous a crevé le cœur en nous privant des vues pour lesquelles on était venus.

Mais des millions de gens, chaque jour, se font ravir leur humanité par la météo qui n'est pas de leur bord, cette journée-là.

Alors je me demandais j'étais qui, moi, petit bourgeois trekkeur du dimanche, pour chiâler.

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Les jeunes Israélites que nous avons rencontrés étaient empreints de dogmes. Comme mon athéisme n'est malheureusement pas encore assez prosélyte, je ne m'attarderai pas sur les incongruités de leur foi, mais ce qui m'a marqué, c'est leur promptitude à nous parler de leur haine des Arabes. Évidemment, je n'ai rien dit sur le coup, j'attendais qu'ils nous trouvent gentils, mais ils sont partis trop rapidement et je n'ai pas eu le temps de les saluer en les quittant, en leur disant que le Shalom! que je leur avais servi et qui les a étonnés est en fait un cousin du salaam arabe...

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  1. Les enfants, séparez bien votre linge propre de votre linge sale dans vos sacs.
  1. Laissez faire la distinction propre/sale, les enfants, à partir de maintenant, y'a du linge sec, et du linge mouillé.
  2. Bon, portez votre linge moins mouillé cette nuit, il va peut-être sécher un peu durant la nuit.

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Si je vous connais, y'a des bonnes chances que j'aie pensé à vous en marchant durant neuf jours. Pour des raisons qui me sont encore obscures, mon esprit s'occupait à butiner, se posant sur le souvenir d'une énorme partie de mes connaissances.

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L'autre chose qu'il faisait, mon esprit, c'est de rester pogné sur les mêmes tounes. Possiblement les plus insignifiantes qu'il trouvait.

Par exemple, la chanson thème de Tao Tao. J'avais lu que les Himalayas avaient un pouvoir de révélation sur nous-mêmes, et ça me faisait un peu peur. Câline, d'où ça venait, cette chanson-là? J'ai encore plus peur maintenant.

Autrement, je restais pris au même endroit sur Dès que le vent soufflera, de Renaud.
Je vous confirme que c'est gossant quand la boucle reste pognée au même mosusse d'endroit durant huit jours, parce qu'on en a oublié les paroles, rendu dans le bout de Tabarly et Riidel.

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En randonnée sur ce genre de chemin, on apprend vite que le secret d'un pas sûr réside dans l'anticipation. Quelle sera le prochain endroit où je poserai le pied? Et le suivant?
J'imagine que le cerveau se circuite en fonction des tâches qui lui sont soumises, ce qui explique la dextérité phénoménale des gens que nous croisions... et le fait qu'après quelques jours, nous développions une intuition grandissante de «la prochaine roche».

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Impressionnant de constater le cycle de l'eau au creux des sommets. On se sent si petits, si faibles, devant sa force.

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J'admets être en vedette du fail du siècle. Oui, l'histoire du soulier qui part à la dérive dans le torrent puissant, après un lancer raté qui succédait aux implorations aux enfants à faire attention en lançant les leurs. Durant les quatre minutes écoulées entre la vue de la godasse qui s'en va vite et loin et la vue du bras triomphant d'un Dawa tout mouillé et boitant qui brandit le trésor trempé, on pourrait croire que l'expression sur mon visage en était une d'effondrement. Je me souviens parfaitement qu'il n'en était rien. Devant le désastre que signifiait la perte du seul soulier de marche du pied gauche qui me convienne à mille lieues à la ronde, j'arborais plutôt une forme étrange de sourire niais, tout en pensant une litanie du genre : c'est la vie, che sera sera, alea jacta est, khe garne... Enfin, personne n'était mort, et même si je réalisais à quel point je serais malheureux, je pense que j'avais surtout envie de rire, et de trouver que la vie était belle quand même.

J'imagine que cela aurait été bien différent si c'était arrivé le huitième jour...


*

Tous les éléments étaient réunis comme autant d'étincelles pour mettre le feu au poudres de la bonne entente familiale : pluie, froid, faim, manque de sommeil et de confort... Des conditions perdantes! Malgré cela, nous sommes demeurés pas mal tout le temps de bonne humeur et nous avons bien rigolé sur la route, sans manquer de nous encourager mutuellement dans les moments plus difficiles. Quétaine, mais digne de mention. Le cabin fever, ce sera donc pour une autre fois!

*

Troisième jour de marche (quatrième jour), dans la forêt tropicale.

Papa, Maman, vous vous souvenez quand j'étais petit et que mon rêve c'était de marcher dans la jungle?

Il faut se souvenir de ses rêves, Nicolas. Ainsi, quand parfois ils se réalisent, souvent sans qu'on s'y attende, on peut se dire qu'on est comme dans un rêve.

Pokharaplapla

2 oct. 2011

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Si jamais nous décidons de quitter définitivement le Québec, inutile de venir nous chercher à Pokhara. Nous ne nous retrouvons pas du tout dans cette ville (la deuxième plus grosse du Népal) construite en majeure partie autour de l'industrie du trek. Ici, c'est le havre pour se faire masser, coiffer, raser, manger des gros steaks, profiter des nombreux Happy hours, acheter du matériel de trekking et des tas de gogosses souvenirs. Le havre du "happy trekkeur" en somme et pas trop notre genre.

Au fait, on ne sait pas trop quoi faire dans cette ville et une chance que j'ai eu le rhume en y arrivant (ben oui, dix jours mouillée, ça laisse des marques!). Nous avons alors pu, sans scrupule, passer une journée complète dans la chambre (Yoko Ono sort de ce corps), à boire du thé et à regarder des films avec les enfants (et oui, j'ai encore pleuré en revoyant Juno!).

Nous avons aussi arpenté la ville pendant une bonne journée, nous rendant dans la vieille partie et tentant, tant bien que mal, de nous dépatouiller avec le système d'autobus pour nous rendre au camp de réfugiés tibétains, situé en périphérie de Pokhara. Ce fut la première bonne idée de notre séjour ici. La deuxième étant l'après-midi que nous avons passé au café Concerto, à écrire, regarder la rue, boire une bière et manger, encore, leur incroyable pizza! Finalement, la dernière bonne idée de notre séjour Pokharien fut de souper dans un restaurant indien, face au lac, où nous avons eu le plus gentil serveur du monde entier pour illuminer notre repas. Les enfants ont aussi pu se balancer sur l'énorme balançoire, érigée à l'aide de bambous, et installée uniquement lors des fêtes de Dasain, juste en face du restaurant.

Bon, qui sait, c'est peut-être aussi notre état de stress post-trekmatique ou le blues du cinq semaines de voyage qui nous a fait nous sentir aussi raplapla à Pokhara.

Nous n'étions donc vraiment pas trop tristes de quitter cette ville, de refaire nos sacs à dos et de nous engouffrer dans un autobus, direction le parc national de Chitwan pour trois jours de jungle en perspective! Le tout organisé par l'agence de notre hôtel de Katmandou, le segment de notre package-méchant-bon-deal-my friend qui nous enchante le moins, à dire vrai.

À suivre donc…

Épilogue

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J'écris cet épilogue du trek non par la fin, mais par le haut. À la limite, c'est tout aussi près de l'étymologie du mot.

*

Laurence vous l'aura raconté, la veille de l'ascension vers le camp de base de l'Annapurna, nous étions à celui du Machhapuchhre. et la pluie s'est mise à tomber durant le souper, succédant au dense brouillard qui était monté de la vallée, presque en soufflant, quelques minutes après notre arrivée. Nous étions à finaliser nos plans pour le lendemain et nous discutions avec Erik et Eva et le trio de Catalans. Normalement, selon les plans de Dawa esquissés au début du trek, nous devions nous lever tranquillement vers les 7-8h et parcourir les deux heures de marche facile qui nous séparaient de notre but, passer une petite heure à profiter de la vue, prendre des photos, puis avoir envie de redescendre pour cause le froid. Avec les autres voyageurs, munis des conseils de prédécesseurs croisés lors de leur descente sur les sentiers, puis de ceux du sempiternel Lonely Planet, nous semblions d'accord : le lever vers 4h30 pour accueillir celui du soleil sur le cirque des sommets était de mise. Bon, on savait bien qu'on ne verrait pas le soleil se lever, à proprement parler, puisque les sommets omniprésents lui barrent la route, mais la lumière présente donnait, nous disait-on, un éclairage magique. Dawa était d'accord.

Et c'est Eva, je crois, qui a fait remarquer que la pluie s'était mise de la partie. On entendait depuis une bonne minute, en effet, un tapotement sourd sur le toit de tôle qui recouvrait la salle à diner jouxtant les cuisines. On s'est tous regardés, mais notre bonne humeur était inexpugnable. Erik et moi redoublions même de blagues (et qu'est-ce qu'on s'est marrés) sur le potentiel malheur qui guettait : le Graal introuvable, protégé par des couches successives de brume, de brouillard et de nuages.

Nous avons mal dormi, vous le savez. Le froid, oui. L'altitude, aussi, qui trouble le sommeil avant l'acclimatation. J'ai fait des rêves étranges, comme dans une transe, un demi-sommeil; un mal de tête très léger, mais suffisant pour se faire ressentir, me triturait. À quatre heures, j'entendais la pluie qui pilonnait encore, incessante. Dans le lodge, tout est resté au beau fixe; personne n'a osé se lever, malgré les boutades de la veille à l'effet que l'on braverait les intempéries pour découvrir un soleil caché de l'autre côté...

Au déjeuner, l'atmosphère de la veille était difficile à reconstruire, même si Erik m'accompagnait de bon cœur dans mes réflexions passablement tongue in cheek. L'ambiance était à couper au couteau, aussi épaisse que la nébulosité. On attendait, impatients, peu confiants et pourtant animés d'un espoir qui ne se connait qu'après avoir marché six jours durant, dans des conditions spartiates, pour atteindre un but fixé depuis très loin. Le mouvement s'est fait naturellement : nous sommes partis vers neuf heures, profitant de ce qu'on cherchait à voir comme une éclaircie, direction ABC, avec une lueur d'espérance au fond du cœur et des souliers.

La marche que l'on nous avait décrite comme facile et agréable s'est révélée toute autre. La pluie forte de la nuit, transformée en neige sur les sommets, s'est retrouvée tout naturellement sur les chemins, suivant le cycle perpétuel de l'eau. En fait, pour la première fois du trek, malgré les nombreuses ondées rencontrées, nous perdions le fil du sentier. On faisait tout pour tenter de garder au moins nos pieds au sec, sortant des sentiers principaux, noyés, à maintes reprises. Certes, la marche n'était pas vraiment à pic, nous n'avions pas de sac à porter, et nos petits cœurs de citadins du niveau de la mer ne semblaient pas non plus trop affectés par les 4000 mètres d'altitude que nous approchions, même si un inconfort dans la région de la dure-mère s'est fait ressentir chez presque tous, et de façon plus aigüe chez Catherine, quoique rien n'était inquiétant. Mais la randonnée était plus désagréable que jamais. Pour la première fois, j'avais juste hâte que ce soit fini. Ce ne serait pas la dernière.

Le crachin ne se désistait pas, nous cachant toute vue possible à l'approche du sanctuaire. De toute manière, nos yeux étaient rivés au sol, guidant nos pas vers les endroits simplement boueux, et non trempés. Moi, j'espérais encore. Dans cette région où toute météo reste imprévisible, jusqu'à l'heure près, je me disais qu'il était encore possible, même si peu probable, que nous arrivions à capturer quelque éclair de soleil qui nous offre un peu de ce que nous étions venus chercher si loin. À l'instar d'Armstrong (Neil, pas Lance ni Louis) et de Lévesque (René, pas, euh... Steeve ni Kathleen?), je m'étais préparé, pour le bénéfice de ma postérité, une phrase de circonstance : «Les enfants, vous contemplez maintenant le toit du monde.»

J'étais avec les deux plus grands, loin devant les autres, quand nous sommes entrés dans le cercle des montagnes. Deux et trois jours auparavant, nous avions rencontré un Bayonnais, puis deux Montréalais (Noémie et Philippe! Vos photos sont... grrrr...), qui nous avaient avoué qu'il ne se trouvait pas de mots pour décrire ce qu'ils avaient vu dans cet endroit. Je n'osais cependant pas trop lever les yeux, parce que la grisaille omniprésente brisait mes derniers espoirs. Mais il le fallait bien.

Pour épargner son honneur, je ne vous dirai pas lequel de mes fils s'est, fort justement d'ailleurs, étonné en prononçant, enfonçant ce faisant un dernier clou dans le cercueil, cette phrase : «C'est ça, la vue

Pour nous non plus, et pour des raisons évidemment différentes, il ne se trouvait pas de mots pour décrire l'endroit. Je vais essayer : imaginez un immense cirque autour duquel trônent aussi fièrement qu'ils le peuvent une dizaine de monts Rigaud tronqués. Oh, et imaginez que vous vous attendiez à y voir une vue spectaculaire, que d'aucuns apparentent à une expérience mystique. C'est ça, la vue.

Je n'ai pas parlé de toit du monde, je n'ai pas attendu les autres derrière, je me suis dirigé vers la butte la plus élevée, où Erik et Eva, arrivés juste avant nous, faisaient maintenant des efforts faramineux pour avoir l'air heureux pendant que leur Sherpa cherchait une manière de les prendre en photo malgré le brouillard. Quelques secondes auparavant, j'entendais ce dernier leur faire l'inventaire des sommets avec leurs hauteurs respectives, cyniquement, comme s'ils étaient apparents.

Les garçons m'ont suivi sur quelques pas, mais ont préféré, avec raison, se réfugier dans le lodge plutôt que de rester, comme moi, debout sous la pluie fine, les yeux dans le vide. Sous le brouillard qui montait d'en-dessous en rafales, j'ai ravalé ma phrase sur le toit du monde, je me suis tu, et j'ai pleuré.

Bon, mettons les choses au clair. Quand je dis : j'ai pleuré, il faut bien comprendre que je n'ai pas braillé, là. Non, non. C'est plutôt comme... tsé, comme si James Bond pleurait. Le dos bien droit, la tête haute, deux larmes, pas plus. Et pas en même temps, une après l'autre, très lentement. Imbu de fierté malgré tout. Voilà.

J'ai sorti mon appareil photo et je n'ai osé prendre qu'un cliché, celui-ci, d'un monticule enrobé de drapeaux de prière. C'est ce que je tenais à conserver du moment.

Pour la première fois depuis notre départ de Montréal, je suis d'humeur massacrante (et que je n'entende pas un fin-finaud me dire que c'est un record!), même si je la garde toute pour moi. Laurence essaie de me remonter le moral, mais ce n'est pas le moment.

Il fallait redescendre. Il fallait redescendre. Pas question d'attendre au lendemain pour tenter notre chance, et de risquer de brailler solliciter les glandes lacrymales à nouveau. Et quand je dis redescendre, c'est redescendre à Pokhara, opc au plus sacrant. Pour reprendre le fin mot d'Erik, c'est facile : tu te casses une jambe, fracture ouverte et tout, un petit appel aux assurances, et puis, hop!, descente immédiate en hélicoptère!

Mais dans un hélicoptère de secours médicaux, on ne peut pas s'y loger à six, alors l'idée fut écartée. (Mais non, Maman, je ne l'aurais pas fait... je crois.)

Arrêt très rapide à MBC, où nous avions laissé nos sacs, pour diner. Pour sauver du temps, nous n'avons pas commandé à la cuisine, mais grignoté les quelques provisions que nous gardions comme en-cas : une pomme, deux sachets de gorp, une barre Mars, une Snickers et deux petits paquets de dix biscuits aux arachides. Je me suis retourné vers Dawa et je lui ai dit, sur un ton presque solennel : we're going to Dobhan. Il faut comprendre qu'il est 13h, que nous avons près de quatre heures de marche fort sympa dans le corps, et que c'est un autre quatre heures et demie qui nous attendent, sous la pluie, avant d'arriver à Dobhan. Mais il fallait redescendre. Il a acquiescé d'un signe de tête en me servant un regard qui signifiaient, c'est toi qui décides, on va voir ce qu'on peut faire, on certainement essayer. Je crois qu'il lisait dans le mien ce qu'il avait sans doute déjà lu souvent, et qu'à ce moment-là, c'est peut-être lui qui me comprenait le mieux.

Je marche devant, tentant de donner un rythme aussi rapide que possible à la troupe. L'eau, tout comme nous emprunte le plus court chemin pour redescendre : coïncidemment, les sentiers que nous avions empruntés à l'aller. À un moment donné, on n'arrivait même pas à contourner l'eau tellement elle était partout sur la voie. No more path, que je lancé abattu à Dawa. Ce dernier trouve tant bien que mal un contournement qui s'avère de courte durée. Au bout de dix mètres, j'ai un pied à moitié trempe.

Comme tout effort pour garder à tout le moins les pieds au sec semble vain, je m'abandonne aux caprices de la nature, et je fais fi des obstacles aqueux ou boueux : je marche en plein milieu du sentier, en plein cœur du torrent. (Avoir les pieds secs, pour ceux qui me connaissent, cette fois ce n'est pas pour être précieux. Au sec, les chances de se choper des ampoules sont sensiblement amoindries. Et une ampoule, ce serait presque une catastrophe.) Je ne me préoccupe plus de mes pieds, ni de rien d'autre, et je maudis tout ce que je peux maudire. Je ne pense qu'à une chose : descendre.

C'est une mauvaise journée.

Vous l'avez lu, le sommeil, cette nuit-là, a été réparateur (un bon souper, des retrouvailles avec Erik et Eva et un mickey de Kukhri XXX Rum aidant?). Les très timides éclaircies du lendemain matin ont suffi à remettre mes esprits à l'heure.

Non. À bien y penser, ce qui m'a fait retrouver si rapidement ma bonne humeur (et que je n'entende pas un fin-finaud me dire que c'est un record...), ce sont mes enfants.

Pas une seule fois n'ont-ils été maussades, chiâleux, difficiles ou exigeants. Ils ont marché, droit, longtemps, et sans rechigner, traversant ce faisant des chemins parfois dangereux, souvent désagréables. Là où je me disais que ça y était, que la montagne avait eu raison de moi, qu'elle avait réussi à me faire craquer, eux, ils ont été heureux, tout simplement. Et forts, surtout.

Cette fois-là, c'est moi qui ai appris d'eux. Moi qui tenais si fort à leur montrer le toit du monde, c'est eux, sans le savoir, qui m'ont montré d'autres toits, bien plus majestueux, bien plus marquants, bien plus beaux; de ceux qui ne se prennent pas en photo, mais dont on se souvient bien plus longtemps.

Ils ont été des miroirs. Ils m'ont fait comprendre que de les guider au travers de ce trek aura été un peu à l'image de ce que nous avons tenté de faire toutes ces années : les aider à grandir, les élever.

Je ne pensais pas me rendre si haut.

Lundi...

5 commentaires

...ou Dawa, en langue Sherpa.

Le cuisinier, celui qui entrait dans les tréfonds des antres des lodges entre autres pour s'assurer que notre thé ait une couleur qui ressemble plus à de la mélasse que du jus de pomme.

Le truchement, qui semblait connaître le moindre villageois croisé sur notre route, et qui s'assurait que nos hôtes comprennent nos besoins.

Le majordome, qui s'occupait de nos sacs, nos vêtements à sécher, nos commandes de repas, nos notes (en aidant quelquefois à les négocier – dans le bon sens).

Le mélomane, qui nous a fait découvrir sur son lecteur mp3 des musiques d'ailleurs... et redécouvrir (avec un peu de surprise) Sacrifice, d'Elton John, qui se confirme être un de ses meilleurs navets, même en montagne.

Le chronomètre, qui savait à la minute près combien il restait de temps avant le prochain village, la prochaine toilette...

Le porteur, qui a pris en surplus les sacs de Thomas et Nicolas quand ils étaient fatigués ou malades.

L'infirmier, qui a pris la température de Nicolas, l'a veillé durant sa convalescence, a surveillé sa diète; qui a fait des massages de Tiger Blam, comme il l'appelait, aux enfants, aux endroits stratégiques.

Le compagnon de jeu, pour Thomas, même que parfois on se demandait qui amusait qui, même que parfois Catherine était jalouse.

Le chasseur d'animaux sauvages et domestiques, qui a su éloigner sangsues, ânes, boucs et autres buffles en rut quand ces derniers s'approchaient de trop près.

Le guide, qui m'a convaincu de prendre l'itinéraire du LP avec un grain de sel, parce que ce dernier ne mentionne pas que de passer par Ghandruk, de là où nous étions, c'était une pente raide pour lui, alors pour nous...

Le Sherpa, enfin, un montagnard, un vrai, celui qui faisait rougir les autres guides croisés sur le chemin, parce qu'il était plus souriant, plus attentionné, plus expérimenté, plus présent (ou plus éloigné, selon le besoin)... plus Sherpa, quoi.