Trek en vrac

3 oct. 2011


On avait vraiment beaucoup à dire, désolé... (Et, oui, le titre est en hommage à Gotlib.)

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Lors de notre arrivée à Pokhara, nous étions trop occupés pour nous rappeler que, selon les guides, notre hôtel était surtout prisé pour ses vues sur les sommets. La veille de notre départ, il ne s'en trouvait aucune, mais nous ne cherchions pas, trop occupés. Le lendemain matin, nous étions émus, et nous l'avons partagé avec vous. Ironiquement, cela aura été parmi les plus beaux panoramas qu'ils nous aura été donné de contempler. Nous avons quand même eu la chance, à Chhomrong, d'apercevoir les sommets durant quelques heures. On n'a toutefois pas eu celle de Philippe et Noémie! (re-grrr...)

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Catherine a réellement été une chèvre dans une autre vie. Il fallait les voir répondre à ses bêlements.
Mais je parle surtout de sa capacité à grimper et descendre sans heurts.

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Les papillons étaient parmi nous dès que le soleil se pointait. Pas si souvent, mais assidument. On a essayé de tous les prendre en photo, Marc, mais il en manque beaucoup, et des plus beaux, des plus évanescents.

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Première réelle expérience de toilettes turques (squat toilets, ou encore non-european toilets) pour la famille. Pas si mal... (On n'aura pas eu besoin de l'adaptateur, Mike!)

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Bien plus de trekkeurs que l'on ne l'aurait cru faisaient appel à des guides et des porteurs. Peut-être par souci de prodiguer de l'emploi, comme il est suggéré ici et là? En fait, comme groupe de six, nous étions plutôt l'exception à ne pas avoir de porteur(s). C'est vrai que nous voyagions léger, et nous n'avons pas souffert du poids sur nos dos, sauf Thomas quelques heures et Nicolas au lendemain de sa convalescence. En fait, on voyageait plutôt léger. Mais ce sont les Catalans qui nous ont donné l'idée que, pour une prochaine fois (ou comme conseil à d'autres), ce serait plus chouette d'apporter quelques vivres agréables : beurre d'arachides, Nutella, thé (du vrai), et autres grignotines pour la route (biscuits, barres tendres). Et de prendre un porteur, quitte à ce que ce ne soit que pour cela. (Et peut-être sauver des sous? La nourriture là-haut est hors de prix, surprime due au transport à dos d'homme oblige...)

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Nous prévoyions prendre douze jours pour faire le trek (on se donnait même une marge de manœuvre d'une ou deux journées supplémentaires pour prendre notre temps), nous l'avons conclu en moins de dix jours (moins de neuf, même, si on ne compte pas la journée à attendre que Nicolas se rétablisse). Peut-être la pluie nous a-t-elle empêchés de flâner comme on l'aurait fait par beau temps? (On s'extasie moins longtemps devant une tribu de singes quand on est trempé...) On se trouvait hot d'avoir fini si vite, et moi encore plus quand un Népalais s'est étonné de notre cadence en me confiant, admiratif : Strong man!

Mais ne nous leurrons pas. Malgré tout, ce trek n'était pas, à mon avis, une épreuve difficile sur le plan strictement physique. À vrai dire, vu de Montréal, il semblait bien plus tough. Des sexagénaires bedonnants suivaient le même parcours. (Bon, ok, un sexagénaire bedonnant. Bon, ok, une petite bédaine de bière.) Non, sérieusement, nous sommes des trekkeurs du dimanche, partis sans préparation formelle, et je ne peux pas dire que nous ayons vraiment souffert. On demeure toutefois fiers d'avoir été jusqu'au bout sans que personne ne se décourage; les enfants ont beaucoup de mérite à avoir persévéré ainsi, marchant de très longues heures.

Sur un plan plus holistique, nous osons nous permettre de belles tapes dans nos dos.

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C'est vrai que le duct tape peut aussi aider à prévenir les ampoules.

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Nous serons sortis de l'expérience sans égratignure, et je dois vous avouer que Laurence et moi en avons été soulagés. Je répétais aux enfants qu'il n'y avait pas d'ambulance dans le coin et que le moindre bobo se solderait par une amputation ou la perte certaine d'un œil. Sérieusement, ce genre d'aventure, c'est stressant pour des parents. On avait vraiment des sueurs froides à imaginer ce qui pourrait arriver. Disons que c'est la première fois que nous étions aussi loin de secours médicaux tout en faisant des trucs relativement propices à un paquet de malaises/blessures/chutes. Chaque fois que les enfants semblaient avoir mal quelque part, sans trop que ça paraisse, on étudiait la situation avec circonspection, en posant subtilement des questions qui nous renseigneraient sur leur état sans les alarmer par nos angoisses. Compte tenu du parcours, c'est étonnant que personne ne se soit tordu ni foulé quelque membre que ce soit.

Quand il s'est scalpé le doigt, Olivier s'est mis à saigner abondamment, un peu comme James Bond (génétique, tsé) : en silence, et en se dirigeant dans le calme vers le point d'eau le plus proche, sans alerter personne, sans autre effusion que celle de son plasma sanguin et autres globules. Quand je me suis approché, infirmier de service, après qu'on m'ait avisé («Olivier saigne, beaucoup»), James ne m'a dit qu'une chose : «Je ne suis pas fier de moi». En effet, je l'avais averti exactement deux-cent-trente-sept fois de faire attention avec son Opinel quand il sculptait son bâton de marche en bambou, allant même jusqu'à essayer de lui montrer la «bonne» façon de jouer avec une lame, lui montrant au passage ma cicatrice laissée par mon premier canif, mal utilisé. (Psychopédagogie de l'adolescence, Université de Montréal, 1994, session d'hiver: Il est inutile de tenter de mettre à profit ses propres expériences pour toucher un ado et lui expliquer quoi ne pas faire; il cherchera inconsciemment à reproduire les erreurs de ses ainés. Bon, ok, c'est pas vrai, c'est pas ça qu'ils montrent à l'école de profs. Mais ils devraient.)

Je crois que j'ai répondu, en tentant d'essuyer le sang qui me giclait dans l’œil avec le coin de mon épaule (mes deux mains étant occupées à stopper l’hémorragie) : «Ben non, c'est juste une p'tite coupure, y'a rien là», avec le flegme d'un M, pour tenter de rassurer mon petit poulet (de six pieds deux) qui tremblait comme une feuille.

Je vous avoue sincèrement que, sur le coup, pas un seul instant je n'ai eu à l'esprit qu'on était à deux jours de marche de la clinique, septique, la plus proche.

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On a beaucoup parlé de la pluie, et elle restera associée au trek, mais elle n'était pas supposée être là. Plusieurs d'entre vous savez le temps qu'on aura mis pour affuter notre itinéraire pour éviter stratégiquement les moussons. Mais la népalaise de cette année aura été, nous dit-on, exceptionnelle. Certainement, nous avons ragé contre mère Nature, à maintes reprises. Mais je crois que chaque fois, ou presque, je me ravisais.

Oui, c'est vrai, elle nous a empêché de marcher agréablement. Oui c'est vrai, elle nous a crevé le cœur en nous privant des vues pour lesquelles on était venus.

Mais des millions de gens, chaque jour, se font ravir leur humanité par la météo qui n'est pas de leur bord, cette journée-là.

Alors je me demandais j'étais qui, moi, petit bourgeois trekkeur du dimanche, pour chiâler.

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Les jeunes Israélites que nous avons rencontrés étaient empreints de dogmes. Comme mon athéisme n'est malheureusement pas encore assez prosélyte, je ne m'attarderai pas sur les incongruités de leur foi, mais ce qui m'a marqué, c'est leur promptitude à nous parler de leur haine des Arabes. Évidemment, je n'ai rien dit sur le coup, j'attendais qu'ils nous trouvent gentils, mais ils sont partis trop rapidement et je n'ai pas eu le temps de les saluer en les quittant, en leur disant que le Shalom! que je leur avais servi et qui les a étonnés est en fait un cousin du salaam arabe...

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  1. Les enfants, séparez bien votre linge propre de votre linge sale dans vos sacs.
  1. Laissez faire la distinction propre/sale, les enfants, à partir de maintenant, y'a du linge sec, et du linge mouillé.
  2. Bon, portez votre linge moins mouillé cette nuit, il va peut-être sécher un peu durant la nuit.

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Si je vous connais, y'a des bonnes chances que j'aie pensé à vous en marchant durant neuf jours. Pour des raisons qui me sont encore obscures, mon esprit s'occupait à butiner, se posant sur le souvenir d'une énorme partie de mes connaissances.

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L'autre chose qu'il faisait, mon esprit, c'est de rester pogné sur les mêmes tounes. Possiblement les plus insignifiantes qu'il trouvait.

Par exemple, la chanson thème de Tao Tao. J'avais lu que les Himalayas avaient un pouvoir de révélation sur nous-mêmes, et ça me faisait un peu peur. Câline, d'où ça venait, cette chanson-là? J'ai encore plus peur maintenant.

Autrement, je restais pris au même endroit sur Dès que le vent soufflera, de Renaud.
Je vous confirme que c'est gossant quand la boucle reste pognée au même mosusse d'endroit durant huit jours, parce qu'on en a oublié les paroles, rendu dans le bout de Tabarly et Riidel.

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En randonnée sur ce genre de chemin, on apprend vite que le secret d'un pas sûr réside dans l'anticipation. Quelle sera le prochain endroit où je poserai le pied? Et le suivant?
J'imagine que le cerveau se circuite en fonction des tâches qui lui sont soumises, ce qui explique la dextérité phénoménale des gens que nous croisions... et le fait qu'après quelques jours, nous développions une intuition grandissante de «la prochaine roche».

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Impressionnant de constater le cycle de l'eau au creux des sommets. On se sent si petits, si faibles, devant sa force.

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J'admets être en vedette du fail du siècle. Oui, l'histoire du soulier qui part à la dérive dans le torrent puissant, après un lancer raté qui succédait aux implorations aux enfants à faire attention en lançant les leurs. Durant les quatre minutes écoulées entre la vue de la godasse qui s'en va vite et loin et la vue du bras triomphant d'un Dawa tout mouillé et boitant qui brandit le trésor trempé, on pourrait croire que l'expression sur mon visage en était une d'effondrement. Je me souviens parfaitement qu'il n'en était rien. Devant le désastre que signifiait la perte du seul soulier de marche du pied gauche qui me convienne à mille lieues à la ronde, j'arborais plutôt une forme étrange de sourire niais, tout en pensant une litanie du genre : c'est la vie, che sera sera, alea jacta est, khe garne... Enfin, personne n'était mort, et même si je réalisais à quel point je serais malheureux, je pense que j'avais surtout envie de rire, et de trouver que la vie était belle quand même.

J'imagine que cela aurait été bien différent si c'était arrivé le huitième jour...


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Tous les éléments étaient réunis comme autant d'étincelles pour mettre le feu au poudres de la bonne entente familiale : pluie, froid, faim, manque de sommeil et de confort... Des conditions perdantes! Malgré cela, nous sommes demeurés pas mal tout le temps de bonne humeur et nous avons bien rigolé sur la route, sans manquer de nous encourager mutuellement dans les moments plus difficiles. Quétaine, mais digne de mention. Le cabin fever, ce sera donc pour une autre fois!

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Troisième jour de marche (quatrième jour), dans la forêt tropicale.

Papa, Maman, vous vous souvenez quand j'étais petit et que mon rêve c'était de marcher dans la jungle?

Il faut se souvenir de ses rêves, Nicolas. Ainsi, quand parfois ils se réalisent, souvent sans qu'on s'y attende, on peut se dire qu'on est comme dans un rêve.

7 commentaires:

Rex a dit…

j'ai pas fini de pleurer en te lisant!

Michele Morin a dit…

Savoureux. C'est ma meilleure lecture depuis des années. En quelques lignes, je suis me roulée par terre de rire, et j'ai braillé comme un veau (pas juste deux larmes à la James Bond).

Merci encore de partager ce merveilleux voyage et d'en faire un si bon récit.

xxx

t.m.q.t.a.b. a dit…

Michel, tu devrais trouver un mot (genre "tratter") qui signifie rire et pleurer en même temps!

Cathy et Marc a dit…

Oui, bon la godasse à l’eau, après le récit complet du trek, ce n’était pas si drôle que ça (on s’excuse de s’être marré comme des singes!)… Peut-être y a-t-il un touriste chinois qui n’a pu se photographier devant le rocher Percé imprégné d’un épais brouillard en ce moment même? Bravo les enfants et les parents courageux!

Michel a dit…

Oui, oui, c'était drôle... vous avez bien fait de rire! (On a quand même rigolé beaucoup nous aussi!)

Rex a dit…

est-ce que t'as dit à Olivier, it's just a flesh wound, it doesn't hurt?

Inconnu a dit…

onnnnh tout mignon petite chevre :O

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