Petite tentative de philosopher le voyage, première partie: Les yeux

13 sept. 2011



On vous prévient tout de suite, si un jour on quitte définitivement le Québec, c'est désormais dans La Ville dont on ne doit plus dire le nom qu'il faudra venir nous chercher.

Pour l'instant, chacun des six endroits visités en Chine nous a séduit plus que le précédent. Chance, acclimatation ou adon, peu importe, on est encore en pleine lune de miel. Et nous aurons le luxe rare de faire s'estomper un peu, si elle advient dans les prochaines semaines, une certaine nostalgie, en revenant dans le Yunnan le 13 octobre, dans le Sud cette fois-ci, direction Laos.

Nous quittons donc pour une première fois la Chine émerveillés, remplis d'images, d'odeurs (dont je vous reparlerai), de visages.

Mais, alors que nous amorçions aujourd'hui le trajet (minivan, train de nuit, avion) vers notre deuxième étape, le Népal, je savais qu'il conviendrait de réfléchir un tant soit peu au voyage. Parce que voyager un ou deux mois est une chose. Nous l'avons déjà fait, assez souvent pour que ce ne soit pas un déracinement. On s'ennuie juste assez, on a l'impression qu'on retrouvera nos vies sous peu, et même si ici le dépaysement n'a aucune commune mesure avec nos autres aventures, nous ne sommes, pour l'instant, pas autre chose que des touristes comme auparavant. Il est encore tôt, bien trop tôt, pour que ce voyage devienne ce qu'il doit devenir. En effet, l'Organisation mondiale du tourisme, relevant des Nations Unies, définissant le tourisme comme «un déplacement hors de son lieu de résidence habituel pour plus de 24 heures, mais moins de quatre mois», on comprend non seulement qu'à ce compte, nous serons encore touristes pour un petit moment, mais aussi qu'on deviendra autre chose en chemin, par la suite : un étrange hybride difficile à définir, encore plus par qui ne l'a pas vécu.

Mais on sent déjà quelques signes de cette métamorphose, car tout comme la péremption d'un yogourt, elle ne se fait pas brusquement dans la nuit du 121e jour, vous l'aurez deviné. 
 
On se reconnaît d'abord une paix intérieure qui n'habitait pas nécessairement nos autres voyages. Je ne sais pas combien cela durera, mais, rien qu'entre nous six, l'atmosphère de bonne entente, de complicité, de confiance est à un paroxysme (durable) qui surprend, compte tenu du potentiel explosif des circonstances extrinsèques (bon, d'accord, et parfois intrinsèques...)

Laurence me faisait aussi remarquer la différence entre nos deux passages à l'aéroport de Kunming, aujourd'hui et à notre arrivée il y a trois semaines. Autant nous étions (quasi) désemparés la première fois, autant ce matin on se sentait presque comme à Dorval... 

Il faut tout de même préciser que nous nous aidons en nous choyant. On ne se la fait pas dure, surtout en ce qui concerne l'hébergement. On ne lésine pas sur le confort des chambres (quoiqu'un lit chinois confortable se définisse par un matelas d'au moins un pouce d'épaisseur, quoiqu'une grosse araignée (du soir, espoir) sur le mur et une petite souris dans le plafond (mais pas encore de punaises de lit, Sarah) aient fait partie de nos colocs), et même si nous sommes le plus souvent en auberge de jeunesse, on prend toujours deux chambres (même trois quand le prix le permet, comme dans la Ville dont on ne peut plus...) et nos toilettes/douches sont privées (bien que parfois sans séparation d'avec le reste de la chambre, mais bon). Enfin, on n'est pas à plaindre, on s'est ménagés, pour ne pas être déstabilisés de partout. À Katmandou, on s'est même payé du «luxe» (selon les standards népalais) en bustant notre budget (oui Sandra, Martin, Isabelle et Marco : le Ganesh Himal!). C'est pas compliqué, on est raisonnables en se faisant plaisir, quoi. Et devant les vrais routards, ceux qui sont en dortoirs et qui montent/descendent deux étages dans le froid/noir/nid d'araignées pour se rendre à leur douche, on fait, mais dignement toutefois, un peu touristes. On nous le pardonne (nous les premiers!) parce qu'on est, après tout, une famille avec enfants (on se permet de se déculpabiliser sur leur compte!). 
 
Tout cela peut (et va sans doute) changer, il reste amplement de temps, pour continuer à y réfléchir, notamment.

C'est vrai que les réflexions les plus pertinentes et les plus belles se posent d'abord sur des miroirs; je m'étais proposé d'en retourner quelques uns vers nous, une fois de temps en temps. Vous trouvez ici des observations candides, possiblement éphémères, quoique bien réelles. Il est tôt pour tout réfléchir, oui, mais c'est ce que nous vivons, live.

Une autre occasion s'est ainsi présentée de réfléchir et de progresser en tant que futurs ex-touristes, et c'est en lien avec nos photographies. (En passant, c'est la lentille fixe 50mm/f1.8 qui fait que plusieurs photos sont belles, le photographe étant très amateur...)

Et parce qu'il nous a permis de poursuivre cette réflexion, je me permets de reproduire le commentaire d'une lectrice et amie :
Je dois vous avouer que je suis surprise lorsque je regarde vos photos des «locaux» (non, je n'ai pas trouvé un meilleur mot que ça)... Je sais que ce sont les meilleures et elles sont très représentatives, mais en même temps, j'ai toujours ressenti cette grande retenue en voyage car je me disais que je n'aimerais pas qu'un inconnu me prenne en photo alors que j'ai une discussion avec des amis ou alors pendant que je fais mon épicerie....  Je ne veux surtout pas que ma remarque soit interprétée de manière négative, j'ai seulement besoin de comprendre où se situe la limite... En voyage, lorsque j'étais en compagnie de mordus de la photo, je les voyais souvent prendre des clichés de tout, partout, et souvent j'étais folle de jalousie de voir leurs albums photos par la suite. En même temps, je ne pouvais pas me résoudre à prendre moi-même des photos des gens... Ok, sérieusement, vos photos sont extraordinaires, alors s'il vous plaît n'y changez rien, j'ai seulement besoin de votre opinion sur la chose si opinion il y a à avoir.

Il y a à avoir certain!
Nos yeux débridés seraient-ils des fenêtres ouvertes permettant un voyeurisme vicieux?
C'est vrai que, pour l'instant, nos appareils photo nous suivent partout, dans la poche ou en bandoulière, jusque dans les déplacements les plus anodins. Et c'est vrai que nous avons marché sur notre pudeur (et un peu sur celle des autres?) en choisissant de prendre un cliché (ou deux, ou trente-sept) qu'habituellement nous n'aurions jamais osé. Peut-être parce que nous sentons le besoin d'être témoins, pour d'autres, de ce que nous voyons? De faire voyager par procuration, pour reprendre l'expression d'une autre lectrice? Le fait d'être ainsi observé, par soi-même, puis par vous lecteurs, modifie-t-il notre façon d'agir? (À l'instar de la physique quantique – clin d’œil aux physiciens...) Vous êtes bien plusieurs centaines (!) à nous lire quotidiennement, et ce n'est pas seulement ma Maman qui clique souvent. On publie d'abord pour nous, et par grand plaisir (bon, j'avoue qu'on pousse parfois les enfants, devoirs de français oblige...), mais nous sommes conscients de le vivre un peu pour vous aussi, et cela nous ravit!

Mais peu importe, ce qui subsistera de ce commentaire avisé de notre amie au sujet des photos, c'est d'avoir relancé notre réflexion, assortie d'une plus grande circonspection de notre part, non seulement dans le regard que nous portons, mais aussi dans notre façon de l'immortaliser. Le spectacle pour le seul spectacle ne nous enchante pas, en effet, même si nous avons succombé à ses appas. Cette photo de femmes Baï, affichée antérieurement, par exemple : c'est vrai que présentée ainsi, sans contexte, sans fond, elle est presque gratuite; un peu de poudre aux yeux débridés... et il y en avait des pires qu'on n'a pas publiées...
Depuis, nous prenons plus de soin à photographier les «locaux» (oui, je sais, c'est un anglicisme sémantique, mais il me semble que autochtone, indigène, et même natif me font tous penser à Elijah Harper) et le cas échéant où on doit les prendre en train de faire «leur épicerie», on cherche à tout le moins leur permission. Et vous savez quoi? Tant les «oui» que les «non» se font avec le plus grand des sourires... Encore touristes, mais d'un autre genre, et certainement plus agréable.


Ah oui, sur une note plus légère, autre indice que le touriste en nous est en train de muter : c'est déjà devenu un peu difficile pour moi de manger avec une fourchette. C'est quoi l'idée de servir du poisson au cari accompagné de nouilles sans baguettes, dans cet avion (chinois, par ailleurs)? Franchement...

Bon, au sens figuré comme au sens propre, on est mieux d'attacher nos tuques, parce que nous atterrissons au Népal incessamment, la space waitrice de China Eastern (pas aussi charmante que celle de Korean Air) me faisant signe de ranger mon portable là, mais drette là.

Katmandou, à nous sept, maintenant!

9 commentaires:

kenavo a dit…

c'est bien cette journée de transit qui donne le temps de philosopher

bryv a dit…

Voilà bien des réflexions sérieuses, des pensées profondes. Je pense qu'en partant vous avez pris le bâton de pèlerin (wikipédia: du latin peregrinatio et qui signifie voyage à l'étranger) et qu'en vivant ce quotidien, où les démarches les plus simples demandent un effort d'adaptation, vous êtes constamment remis en question. Ce qui vous transforme et vous oblige à mieux comprendre ce que l'autre vie... Ouf!
hé là, on redescend sur terre...

Fab a dit…

Bonjour, mon cher Sardi!
Quelle réflexion renversante et bouleversante en ce qui me concerne! Je me souviens d'une période de ma vie où j'ai tenté de réfléchir à cette question, mais à l'inverse de toi, je m'explique. Au retour de moult pérégrinations quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, m'avait gentiment demandé à voir mes photos de voyage....Je n'en avais pas, aucune ou presque. "Mais, comment ça??? C'est bien égoïste de ta part....tu ne veux pas partager tes expériences????" Je n'ai su que répondre! Mais j'ai tenté par la suite de me l'expliquer... Pourquoi ne fais-je jamais aucune photo? Pourtant j'ai un appareil, mais il reste toujours au fond de mon tiroir! Toutes les fois où je faisais une photo, elle me laissait de marbre! Je me suis dit, d'abord, que ce devait être à cause de la quasi-cécité de mon œil droit, ensuite, que ce devait être en effet une forme d'égoïsme, finalement, que chacun voyageait de la manière qui lui convenait le mieux, avec un appareil photo autour du coup, avec une grosse caméra vidéo sur l'épaule ou bien comme moi.... avec juste l'envie de flâner, de respirer, sentir et un jour.... raconter, au fil des conversations, des rencontres.....Il n'en reste pas moins, que l'important ce soit de partir, de s'ouvrir et de ramener ce que l'on a envie de ramener! Vos photos sont splendides, même si elles pénètrent parfois l'intimité des gens... Elles restent bouleversantes, drôles et reflètent tellement votre plaisir d'y être!!!!!
Bien h^te de lire ta deuxième tentative de philosopher!!!!!!
Fab

Magdechar a dit…

tres belle image :)

Josiane a dit…

Hum!
La semaine dernière, j'ai également réfléchi sur ces photos que l'on se permet - ou pas - de prendre. Élément déclencheur? Votre blogue, évidemment, ET le World Press Photo (non, mais, vous avez quand même un méchant standing!!)! ;) Malgré toutes les réflexions et discussions sur le sujet, je ne suis pas arrêtée encore sur une manière de faire avec laquelle je serais totalement à l'aise... Vous expérimentez pendant 10 mois encore et vous me revenez là-dessus, ok?! ;)

Michel a dit…

Ouf... se faire comparer au WPP, c'est plus que du standing! (Et c'est lourd à porter!)

Je crois que dix mois ne seront pas de trop pour effleurer la question. Aujourd'hui même, à Katmandou (mosusse que ça parait bien dans une discussion, cette phrase-là), je me posais constamment plusieurs questions: Sortir mon appareil de mon sac à dos? Le tenir dans mes mains? Viser? Déclencher? Ouf...
Notamment quand on a égorgé une chèvre, là, devant les yeux de badauds du coin et les miens, pour préparer la sortie de la Kumari, déesse vivante dont on vous reparlera probablement.

Et, même si mon appareil était tout prêt tout chaud, je me suis dit que parfois, certaines expériences ne peuvent/doivent se vivre qu'avec les yeux sur place.

(Console-toi ou juge nous, c'est selon: On a des photos des taches du sang de la biquette qu'on a fait éclabousser à des endroits judicieux.)

American_outsiders a dit…

Est ce que la ville serait par hasard Shaxi?

Michel a dit…

chuut...

American_outsiders a dit…

HAHAHA J'AI GAGNÉ!

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