Zéro

28 sept. 2011



Vendredi matin, nous paquetons tout ce qu'on a en sachant qu'on en laissera une partie à Pokhara avant de partir en trek, puis nous partons tôt de l'hôtel, à 6h30, afin de prendre l'autobus inter-cités. Le guide-concierge nous attend impatiemment dans le hall pendant que je règle la note de l'hôtel et il se charge de fixer les sacs sur les toits des deux petits taxis qui nous mèneront jusqu'à l'autobus. Je suis d'humeur peu amène car le montant de la note, même s'il s'avère exact, est plus élevé que je ne le croyais et je dois vérifier les comptes à la sauvette, pressé par le temps et par le non-verbal du Sherpa-chasseur. Une fois embarqués, rien pour améliorer mon humeur ni ma confiance : ce dernier me demande 400 roupies pour les taxis. Pardon? Pardon? C'est pas supposé être tout-inclus, ce truc?

No, you need to give me 400 roupies for the taxis.

Je fulmine un peu, surtout parce qu'on s'arrête au bout de ce qui semble être un gros kilomètre maximum, et je partage avec Laurence mes craintes de nous être empêtrés dans une arnaque organisée, un engrenage dans lequel on vient possiblement de mettre le bout de la cravate. Ou du sari. 

Tiens, Dawa, un billet de 500 roupies, que je lui tends par dépit. Il s'exécute pour me le prendre et, se tournant vers les deux chauffeurs, sort subrepticement quelques autres billets de son portefeuille qu'il leur distribue au sein de force discussions. Non, je ne veux pas savoir ce qu'ils se disent, et surtout pas combien il les paie vraiment.

Euh, pseudo-Sherpa, je peux avoir ma monnaie? You know, one hundred rupees change?

Oh, sorry, I don't have change. I will give it later.

La roue tourne, la cravate se serre. Later... right. Je garde mon flegme d'arabe bien élevé, je ravale ma salive, mais, le col si serré, ça me sort en fumée par les oreilles. Je me dirige avec les autres vers l'autobus, en comptant nos sac, en me promettant de tenir bien à l’œil ce guide, et en cherchant l'occasion de lui rappeler subtilement notre petite dette. (Bon, qu'on se le dise, cent roupies, c'est environ un dollar trente-quatre. Rien pour justifier un combat au couteau, mais assez pour transpercer le cœur d'un gars qui essaie de se tenir au dessus des petits arnaqueurs. Et des plus grands.)

Nous avons choisi l'autobus de moyenne gamme, sans climatisation ni diner inclus, mais pour la moitié des sesterces. La scène est fascinante car une trentaine d'autobus sont alignés sur le bord de la route, tous en partance pour Pokahara, et tous ou presque identifiés en grosses lettres sur leur fronton : TOURISTS. À vrai dire, je me demande l'utilité d'une telle marque au fer rouge. Pour qu'on puisse mieux rire de nous? Pour qu'on nous laisse tranquilles, héritage du début des années 2000 quand les rebelles maoïstes faisaient du grabuge? (C'est plus calme maintenant qu'ils font partie du gouvernement) Je n'ose pas m'enquérir. Je reprends un peu de sourire en regardant les vendeurs de journaux et de grignotines faire des allers-retours commerciaux entre les divers autobus stationnés en file indienne. Encore un déridement en voyant, un arrêt plus loin, quelques non-TOURISTS prendre place dans les sièges vacants sous les regards complices des contrôleurs d'autobus, surement en échange d'un tarif en-dessous de la table nettement moindre à celui que nous avons payé. Enfin, on s'amuse en constatant que les guides sont tous à l'avant du véhicule, dans une sorte cage de verre, avec le chauffeur. Ils ont la plus belle vue, mais à savoir comme on conduit ici, c'est souvent mieux de ne pas trop regarder ce qui s'en vient devant...

Côté confort, ce bus ressemble à tout ce qu'on peut s'imaginer d'un transport népalais de moyenne gamme. On ne se plaint pas, même si c'est très rudimentaire comme coussinage, et même si c'est très chaud vers la mi-journée. Non, ce qui nous gêne le plus, ce sont les autres touristes. On a le merveilleux bonheur de tomber sur une majorité de français et d'allemands comme colocs. Joie. Je crois que ce qui faisait le plus mal, c'était de comprendre leurs chiâlages intempestifs. Sept heures de temps. Sept. Heures.

Scheiss! After dis, never I vill complain about german bus again! Ha ha!

Oh, putain! Ça y est, dès que j'arrive, je prends le premier vol de retour possible...

Crime, tu viens visiter le Népal, chose. Le Népal. Si tu veux reposer tes foufounes en toute sécurité, reste chez vous, ou fais quelque chose de wild comme aller à St-Tropez.

Mais on tolère magnanimement leurs éructations de commentaires en ayant toutefois un peu honte de parler français et d'être intimement associés à eux (jusqu'à présent, ceux qui reconnaissent notre langue concluent invariablement que l'on vient de France, malgré nos petits drapeaux, que personne ou presque ne reconnait). On finit tout de même par engager quelque brin de conversation avec la moins nounoune des Françaises, et, avec elle, on se moque bien de leur... caractère, tandis que la Suissesse derrière se marre bien tellement le préjugé se vérifie, live.

Deux arrêts étranges ponctueront le parcours, pour déjeuner et diner, dans des genres de Madrid (pas comme en Espagne, comme près de Drummondville – je sais, je sais, il vient de fermer) où plusieurs autobus débarquent des hordes de TOURISTS affamés en quête de chow mein.

Lecture dans l'autobus: Lonely Planet –Nepal. Un encadré sur les Sherpa attire mon attention. Je savais déjà qu'on distinguait Sherpa de sherpa, le premier étant une ethnie de la région de l'Everest, reconnue pour ses montagnards exceptionnels qui font pour la plupart des guides (et pas des porteurs), et l'autre, avec la minuscule, étant un terme générique pour désigner (abusivement?) tout porteur. De ce que j'avais cru comprendre lors de notre première rencontre, notre Dawa se réclamait de la première appellation, la plus prestigieuse (c'est même une caste en soi, que Sherpa) et mon scepticisme envers ce fait fut mis à l'épreuve en lisant plus loin que souvent, on donnait comme prénom aux Sherpa le nom de leur jour de naissance en langue Sherpa, exemples à l'appui, en commençant par lundi: Dawa. Un vrai Sherpa? Vraiment? On a un vrai Sherpa avec ce concierge? Ça reste à voir, me dis-je, n'importe qui peut s'affubler d'un sobriquet du genre, non?

On arrive enfin à Pokhara en début d'après-midi, ville axée principalement sur les TOURISTS (enfin, toute la partie Sud-Ouest, surnommée Lakeside), où l'on trouve un niveau de confort supérieur, notamment en matière d'hôtels, mais surtout de restaurants et de salons de massage, qui assurent un repos pour les trekkeurs éprouvés par les rudes et spartiates conditions de la montagne. C'est pour cela que nous y resterons quelques jours après notre trek. Au terminus d'autobus, une fourgonnette de l'hôtel nous attend parmi les 47 chauffeurs de taxi qui nous sollicitent, puis nous conduit à bon port, pas tellement loin.

Pendant que nous attendons nos chambres, le gérant de l'hôtel me signifie avec moult expressivité que Dawa est un bon ami à lui et un excellent guide aussi. Je crois avoir répondu tout aussi sincèrement que lui en disant que s'il était un ami de Dawa, alors qu'il était mon ami. Ils ont eu l'air bien content de ma boutade, et je ne pouvais que continuer de sourire à pleines dents en les voyant en faire autant.

Le temps de prendre possession de nos chambres, et nous prenons un thé avec Dawa pour les derniers préparatifs. Il inspectera nos sacs (ceux que nous apportons en trek) en soirée, pour s'assurer que nous ayons tous le nécessaire et pas trop de superflu. Il nous dit aussi qu'il faudra se rendre à Naya Pul demain matin, d'où nous commencerons réellement à marcher. Pas de surprise : le coût du transport est à nos frais (mais ça, on le savait). On peut prendre une navette de type mini-fourgonnette pour 3000 roupies. Trois mille? No way, mon homme!

Yes, but it's one hour...

On nous a dit que l'autobus coutait 100 roupies par personne!

Yes, but it's public bus, no comfort. And public bus is two hours. And we need to take also small taxis to get to bus.

Combien tes small taxis?

Maybe 200 rupees.

C'est ben correct pour nous. On a pas de sang allemand anyway. Un peu de français, ouais, mais bon, ça ira.

(Court moment de réflexion) Oh, I have idea, my sister lives in Pokhara, maybe she can drive us, she has van.

Il l'appelle devant nous sur son cellulaire. Drôle, même genre de ton dans la discussion qu'avec les chauffeurs de taxis.

Oh, she say also 3000...

Fais-toi-z-en pas mon Jean-Guy, on prend l'autobus.

**

On déambule dans Pokhara, tout près de notre hôtel, pour acheter les trucs qu'il nous manque : deux chapeaux, un bâton de marche et deux pantalons de coton léger pour les deux grands (euh, Nicolas et Olivier). On s'amuse à négocier avec les commerçants (un bon marchandage se termine quand les deux parties ont le sourire lors de la transaction), puis on prend notre souper dans un restaurant italien. Oui, italien. On s'est dit qu'avant de vivre de dal bhat pendant douze jours, on se permettrait un caprice. Et, tenez-vous bien, on y mange les meilleures pizzas depuis celles dégustées à Venise. On offre même des gelati aux enfants, qui sont par contre à des années-lumière de celles de San Gimignano. (Je vous reparlerai de nourriture occidentale bientôt.)

On retourne à l'hôtel pour passer à l'inspection et boucler nos sacs à dos avec le nécessaire pour douze jours (je reviendrai sur ce sujet aussi). Laurence et les enfants prendront leurs sacs de jour de 15 litres, et moi un gros sac à dos de 40 litres, que je ne remplirai toutefois pas. Quelques items plus lourds ou encombrants seront confiés au guide : trousse de toilette, de premiers soins et d'urgence, jumelles et gougounes. On est loin du dix kilos! Dawa fait le tour des piles de chacun et acquiesce majoritairement avec nos choix. Il semble savoir ce qu'il fait, c'est rassurant. D'un autre côté, j'étais arrivé aux mêmes conclusions en cherchant un peu sur Internet et dans le Lonely Planet – Trekking in the Nepal Himalaya.

Oh, et vous ne serez pas surpris des good news! que nous apprend Dawa, qui se trouve à jouer un étrange rôle d'intermédiaire : l'hôtel devant aller chercher des trekkeurs à Naya Pul demain, ils offrent de nous y accompagner en mini-fourgonnette pour... 2000 roupies.

Ok Dawa, va pour 2000 roupies. C'est de bonne guerre.

**

Nous sommes prêts à partir, pour de bon cette fois, aux aurores demain matin.

Des papillons.

6 commentaires:

bryv a dit…

Je sentais bien que vous étiez à deux poils de vous faire avoir et qu'à la fin "ils" vous ont eus...., poil au ... Je sens que la moutarde monte au nez de Michel et que ce Dawa, avec son cousinage incommensurable, n'a pas fini de faire des entourloupettes...Non, je n'ajoute rien. Hélas, les touristes sont partout et partout ils sont les mêmes. Heureusement, il y aura les paysages, la neige éternelle, le beau ciel bleu, les courbatures, toutes ces choses qui vous forgeront des souvenirs inoubliables...Avez-vous un sac à dos pour transporter les roupies...

Valéry Annie a dit…

J'attend la suite de l'histoire avec Dawa avec impatience... :-D C'est lui sur la photo??? En tout cas c'est pas Michel... ;-) lol

Rex a dit…

trop cool ton récit, c'est un vrai "page-turner"! trop, trop hâte de lire la suite! merci!

Michel a dit…

C'est bel et bien Dawa (à gauche) sur la photo!

Fab a dit…

Ah enfin je comprends la différence entre un arabe et un juif!!!! Face à son pécule qui part en fumée, l'arabe fulmine mais reste calme....le juif fulmine mais.....devient zinzin!!!!!

Inconnu a dit…

JADORE VOTRE BLOQUE <333 Cest vrm interessant tout les histoires que vous racontez

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